Le voyage de Jean de Quen

Le voyage de Jean de Quen

<![CDATA[Selon la logique, la chronique de cette semaine aurait dû être écrite il y a plus d’un an. Je me refusais de le faire, car je ne voulais pas d’une série de chroniques linéaires dans le temps qui aurait ressemblé à un cours chronologique. Nous y voici donc, à ce moment où un premier blanc a touché l’eau du Piékouagami des autochtones de l’époque.
Son nom est Jean de Quen, et c’était le 16 juillet 1647.
1647, c’est loin, très loin, même. Juste pour se faire une tête de quoi nous parlons exactement, voici combien de personnes comptaient la Nouvelle-France à cette époque. Ces chiffres ont une marge d’erreur, mais pour notre démonstration, ce n’est pas dix personnes de plus ou vingt de moins qui va faire une différence.
En 1641, toute la Nouvelle-France comptait un grand total de… 240 personnes (excluant évidemment les premières nations). Douze ans plus tard, en 1653, ce chiffre était de plus ou moins 2 000.
Nous n’avons pas d’estimation pour 1647, mais si nous parlons de 1 000 personnes, nous ne devrions pas être bien loin de la réalité.
1 000 personnes, donc, pour tout le territoire de la Nouvelle-France. Aujourd’hui, cette population entrerait à peine dans un quartier résidentiel d’une ville moyenne. 1647, c’est aussi tout juste vingt-cinq ans après la naissance du premier bébé de la colonie, Eustache Martin, né le 24 octobre 1621 à Québec.
Le Piékouagami n’a donc pas été exploré <em> sur le tard </em> , comme nous pourrions le penser, mais bien au tout début de l’histoire de la prise de possession du territoire par les Européens.
Petite note en passant. Vous remarquerez que je n’utilise pas le mot « découverte » pour qualifier cette première incursion blanche dans la région. Même si ce mot se retrouve partout dans les livres, il ne reflète pas la réalité d’aujourd’hui. Les blancs n’ont absolument rien découvert. Ils ont exploré, ça oui, mais on ne découvre pas un territoire occupé depuis plus de 5 000 ans!

Les origines

Jean de Quen naît à Amiens, dans le nord-est de la France, vers 1603. Il a une jeunesse anonyme, mais nous savons qu’il entre chez les Jésuites à l’âge de 17 ans en 1620. Il franchit avec succès l’étape du noviciat, puis il étudie la philosophie et la théologie, avant d’enseigner dans un collège.
 

Jean de Quen naît à Amiens, dans le nord-est de la France, vers 1603.
Source: Google map

C’est en 1635, alors que la Nouvelle-France compte sans doute beaucoup moins que les 250 habitants de 1641, qu’il est désigné pour être missionnaire dans cette terre encore bien inconnue. Il arrive ici le 17 août 1635, exactement.
1635, c’est l’année de la fondation du Collège des Jésuites de Québec. Jean de Quen y enseignera quelque temps avant d’être transféré à la mission de Sillery. De Quen fera quelques aller-retour entre le collège des Jésuites et Sillery, pour ensuite se faire confier la création d’une nouvelle mission à Trois-Rivières.
 
Le collège et l’église des Jésuites à la Conquête. Gravure de Richard Short, 1761, Archives de la Ville de Québec, N016369.
Source: Wikipédia, libre de droits

Vers 1642, il est à Tadoussac où son principal travail est l’évangélisation des Autochtones. Il sera à cet endroit pendant une décennie, jusque vers 1652.
 
La petite installation de Tadoussac. Dessin de cette époque.
Source: Wikipédia, libre de droits

C’est donc pendant qu’il était à Tadoussac qu’il fera son premier voyage à la découverte de notre région.

L’état des lieux

Avant de nous rendre au Piékouagami, il serait intéressant de connaître ce qui se véhiculait à l’époque au sujet de notre région. L’expression « Royaume du Saguenay » n’est pas sortie d’un concept publicitaire moderne. Cette expression a été utilisée pour la première fois par Jacques-Cartier lui-même, à la suite de ses premiers voyages d’exploration.
 

Plan de la Nouvelle-France en 1534. On y voit le Piékouagami alors qu’aucun explorateur ne s’y est encore aventuré. La région a été reproduite selon les récits des autochtones.
Source: Wikipédia, libre de droits

C’est par ce que racontaient les autochtones que Cartier et les explorateurs suivants ont pu décrire ce qui s’y passait, et même en dessiner des cartes!
Les Autochtones décrivaient un véritable royaume avec des hommes habillés de blanc, des richesses extraordinaires, et beaucoup plus.
Aujourd’hui, les interprétations divergent concernant ces descriptions fantaisistes. Pour certains, les autochtones racontaient de vieilles légendes à propos des Vikings qui se seraient rendus jusqu’à la Baie d’Hudson bien avant 1534, et pour d’autres, l’intention était de dissimuler aux blancs cette région riche en animaux qu’ils ne voulaient pas partager avec ces Européens conquérants.
Que ce soit pour l’une ou l’autre raison, Jean de Quen n’a pas trouvé le royaume décrit lors de sa première exploration, mais il a trouvé bien d’autres choses.

Pourquoi remonter le Saguenay?

Ce qu’il y a de fascinant concernant Jean de Quen, c’est qu’il n’était pas à proprement dit un explorateur. Il ne s’est pas retrouvé au bord de notre lac par accident, mais presque…
Presque, dans le sens que le but de son voyage n’était pas l’exploration d’un nouveau territoire pour les blancs, mais tout bêtement sa motivation à évangéliser les autochtones qui ne pouvaient pas se déplacer par cause de maladies. Si ces gens n’avaient pas été malades, il ne serait peut-être jamais venu ici, c’est aussi bête que ça!

Le départ et le voyage

De Quen quitte la mission de Tadoussac le 11 juillet 1647 en canot d’écorce, guidé par deux Montagnais. Nous pouvons voir ici une contradiction entre le fait que les Autochtones voulaient garder ce territoire secret et celui que ce soit deux autochtones qui l’aient guidé. Il n’en est rien. Toute la documentation va dans le même sens : au fil des ans, Jean de Quen avait gagné la confiance des peuples autochtones, et au surplus, il avait appris la langue des locaux. Ces liens tissés avec le temps a certainement pesé lourd lorsqu’il a demandé à être guidé sur cette longue rivière encore inexplorée.
 

Plan de la Nouvelle-France au début des années 1600. Il faudra encore près de cinquante ans avant qu’un premier blanc puisse faire une description fidèle de la région.
Source: Wikipédia, libre de droits

La petite équipe a mis cinq jours pour se retrouver face au lac. Voici comment De Quen a décrit ce périple qui a été relaté dans <em> Les Relations des Jésuites </em> , (1647) :
« Cinq jours durant, depuis le point du jour jusqu’à soleil couché, ramans toûjours contre des courants, où contre des torrens, nous avons rencontré en ce voyage dix sauts ou dix portages, c’est à dire que nous nous sommes désembarquez dix fois pour passer d’une riviere a une autre partie du fleuve plus navigable. »

Un itinéraire surprenant?

Lorsque nous regardons une carte de la région aujourd’hui, cela nous semble <em> pas si compliqué que ça </em> de partir de Tadoussac pour aller se mouiller les pieds dans le lac à Alma. Vous savez du genre, <em> Bien… tu prends ton canot et tu remontes le Saguenay jusqu’au lac! </em> Eh bien… non.
Ce n’est pas pour rien de Jean de Quen avait des guides montagnais. Eux, ils le savaient que le Saguenay devenait fort compliqué à faire en petits canots dans sa dernière partie. C’est par déductions des descriptions qu’il a fait des paysages que nous pouvons déduire son itinéraire :
Le groupe a emprunté la rivière Chicoutimi jusqu’au lac Kenogami, et est arrivé au Piékouagami pas ce que nous appelons aujourd’hui La Belle Rivière, entre Alma et Métabetchouan.
 

Contrairement à ce que nous pourrions croire, Jean de Quen n’est pas arrivé par le Saguenay, mais bien par La Belle Rivière, entre Alma et Métabetchouan.
Source: Google map

Sa réaction

Je vous laisse la lire :
« Ce lac est si grand qu’à peine en voit-on les rives, il semble estre d’une figure ronde, il est profond & fort poissonneux, on y pesche des brochets, des perches, des saumons, des truites, des poissons dorés, des poissons blancs, des carpes & quantité d’autres espèces.
Il es environné d’un plat pays, terminé par de hautes montaignes éloignées de trois ou quatre ou cinq lieuës de ses rives, il se nourrit des eaux d’une quinzaine de rivieres ou environ, qui servent de chemin aux petites nations, qui sont dans les terres pour venir pescher dans ce lac & pour entretenir le commerce & l’amitié qu’elles ont par entr’elles. Nous voyagasmes quelque tempss sur ce lac, & enfin nous arrivasmes aulieu où estoient les Sauvages de la nation du Porc-Epic. Ces bonnes gens nous ayans apperceus, sortirent de leurs cabanes, pour voir le premier François qui ait jamais mis le pied dessus leurs terres. »
Anecdote intéressante, lors de sa première visite auprès des autochtones, il trouva une croix érigée avant même son arrivée. Démonstration que malgré l’éloignement, ses efforts d’évangélisation donnaient de bons résultats, du moins, du point de vue de l’Église.
Les suites
Évidemment, après cette première exploration, les Européens ne sont pas débarqués ici le lendemain par autobus pleins. Il a fallu plus de deux cents années de plus pour que la vraie colonisation débute.

Le poste de traite de la rivière Métabetchouane vers 1900. Jean de Quen y a établi sa première mission pour évangéliser les autochtones de la région.
SOURCE: Société d’histoire du Lac-Saint-Jean. Collection Samuel McLaughlin.

Entre-temps, Jean de Quen reviendra deux fois au bord du désormait lac Saint-Jean, nom qu’il lui a donné lors de son second voyage en 1652, alors qu’il fonda officiellement la mission de la rivière Métabetchouane. Mission qui servira également de poste de traite pendant longtemps.

Son héritage

Jean de Quen était un religieux évangélisateur. C’était sa vocation, alors il ne faut pas se surprendre que ce soit cela qu’il ait fait! Les temps ayant bien changé en regard de la chose religieuse depuis ce temps, son héritage concret est surtout symbolique. Certains pourraient même avancer, et avec raison, que si ça n’avait pas été lui en 1647, ça aurait été un autre en 1648 ou en 1658. Ce raisonnement n’est pas faux, sauf que…
Sauf que Jean de Quen a laissé un véritable héritage bien tangible que nous écoutons, disons et lisons parfois plusieurs fois par jour. Je veux évidemment parler du <em> baptême </em> du lac. À ce niveau, non, si ça avait été une autre personne, nous ne vivrions pas aujourd’hui au Lac-Saint-Jean, mais peut-être au Lac-Saint-Gustave ou Lac-Saint-Arthémise.

Monument à la mémoire de Jean de Quen, à Desbiens.
Source: Wikipédia, libre de droits

En ce sens, oui, Jean de Quen a laissé un énorme héritage qui, qu’on le veuille ou pas, nous utilisons et diffusons à tout moment du jour!
Jean de Quen décède en octobre 1959 d’une fièvre contagieuse arrivée par un bateau de nouveaux occupants du territoire. Il a été victime de son zèle à vouloir prendre soin de ces gens malades. Il est enterré à Québec, sous le couvent des Ursulines.
Page Facebook Saguenay et Lac-Saint-Jean histoire et découvertes historiques :
https://www.facebook.com/histoirelacstjean/
Christian Tremblay, chroniqueur historique]]>

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