Le jour 1 de l’aviation au Lac-Saint-Jean

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Par Christian Tremblay
Le jour 1 de l’aviation au Lac-Saint-Jean
Cette semaine, nous partons à la découverte de notre ciel avec un événement bien particulier. En octobre 1910, une montgolfière de type ballon passe par chez nous. C'était le premier, et l'histoire n'est pas banale. Source: Wikipédia, exemple de montgolfière de type ballon.

Mais comment donc a débuté l’histoire de l’aviation dans notre région? Question intéressante, et fascinante à la fois. Mais avant toute chose, nous allons définir les termes. Vous allez comprendre pourquoi plus loin. Pour les fins de cette chronique, nous allons assumer que le mot aviation veut dire « n’importe quel truc qui vole de manière à peu près contrôlé par des êtres humains, et qui a touché terre dans la région ».

Je sais bien que cette définition est une peu tordue, mais elle est nécessaire. Le plus simple aurait été une évidence : l’aviation débute avec le premier avion! Mais ici, ça a été compliqué que ça…

Fixons la date

Au Lac-Saint-Jean, le jour 1 de l’histoire de l’aviation répondant à la définition proposée est le 19 octobre 1910. Impossible d’être plus précis, n’est-ce pas. Avant cette date? Le ciel bleu, le soleil, la lune, des étoiles, des oiseaux, et rien d’autre.

OK, ce n’était pas un avion, mais c’était quoi?

Le premier engin qui a traversé notre ciel jusqu’alors fort paisible était en fait une montgolfière. Oui oui, une montgolfière. Vous me direz peut-être « Si elle a juste passé, ça ne compte pas vraiment ». Vous auriez raison. Mais justement, elle n’a pas fait que passer. Elle s’est bel et bien posée chez nous, à cette date précise.

En fait… posée est un bien grand mot, puisqu’il s’agit ici d’un atterrissage forcé en règle, et c’est justement cela qui rend l’histoire fascinante.

Dans quelles circonstances, qui, et où? On va regarder cela!

L’époque

À cette époque, le monde vit une période faste pour les aventuriers. Que ce soit par montgolfière ou par avion, des hordes d’intrépides embarquent dans des machines pour tenter de battre le record de la semaine précédente. En 1910, nous sommes encore très près du premier vol en avion homologué des frères Wright en 1903 : 284 mètres en 59 secondes.

La montgolfière, elle, vole depuis plus longtemps, soit 1783.

À cette époque, partout dans le monde les défis se lancent, et les records se battent régulièrement.
Source: journal La Presse, 26 octobre 1910

Ces années étaient faites pour les personnes n’ayant pas peur de s’installer, soit dans un avion-prototype, ou dans un ballon sans contrôle, au risque d’y perdre la vie. Et c’est arrivé souvent.

L’engin et le départ

C’est le 17 octobre 1910 que nos deux aéronautes et futurs bleuets (le temps de quelques jours) quittent la ville de Saint-Louis, Missouri. Leurs noms, Alan R. Hawley et Augustus Post.

 

Photographie merveilleuse où nous avons la chance de voir Alan R. Hawley et Augustus Post à leur départ pour… le Saguenay-Lac-Saint-Jean. Ceci a été bien involontaire, mais c’est tout de même le résultat. À noter, la précarité de l’habitacle, et tant qu’à faire un tel voyage, pourquoi ne pas le faire en veston cravate?
Source: Earlyaviators.com

Les deux Américains participent à la célèbre course  James Gordon Bennett . Cette course, qui existe encore aujourd’hui, fut créée en 1906. Le principe est le suivant : parcourir la plus grande distance de vol depuis le point de départ sans moyen de propulsion autre que les courants atmosphériques. Le lieu du départ change chaque année.

 

Broadway St, St.Louis Missouri. Ville de départ de la course en 1910.
Source: Wikipédia

À 17 h à Saint-Louis, une fanfare entonne la chanson « We Don’t know where we’re going, but we’re on our way » (Nous ne savons pas où nous allons, mais nous sommes en route).

Tous les ballons participants s’envolent alors, au hasard des vents.

À bord du ballon America II, Hawley et Post prennent de l’altitude.

Voilà, la course peut se dérouler!

Leur destination

Vous comprendrez que sans moyen de propulsion, c’est le vent qui décide. Le but de la course étant de simplement faire la plus longue distance, il n’y a pas de lieu spécifique à atteindre.

Pendant les 45 heures où dura ce vol de près de 2 000 kilomètres, ce hasard des éléments décida que c’était dans la région que la fin aurait lieu.

Le vol

Tout est une question d’endurance. Le ballon des aéronautes alla à une vitesse moyenne de 42 km par heure. Expérimentés, Hawley et Post savent qu’ils peuvent être forcé d’atterrir n’importe où, et pas nécessairement en milieu facile. Pour cette raison, en plus de tout l’équipement et la nourriture nécessaire, ils ont dans leur ballon un petit canot démontable.

Après plus de 1500 kilomètres de vol dans un relatif contrôle, les choses se gâtent…

 

La coupe Gordon-Benett. Coupe prestigieuse d’une compétition débutée en 1906 et qui existe encore aujourd’hui.
Source: Wikipédia

Le survol de la région et l’atterrissage forcé

Le 19 octobre, ils sont dans notre région. Malheureusement pour eux, une tempête se lève. Selon le témoignage de Hawley recueilli par la suite, le vent et la neige dans l’atmosphère rendaient la situation fort périlleuse. À tout instant, ils pouvaient être brisés par les éléments, les précipitant ainsi dans une folle chute vers le sol.

Estimant qu’ils n’avaient plus le contrôle de la situation, les pilotes décidèrent de faire un échouage contrôlé le plus sécuritaire possible.

Autre élément qui pencha en faveur de ne pas s’acharner contre la nature, selon leurs calculs, ils détenaient maintenant le record mondial de distance en ballon.

Le ballon, secoué en tous sens, débuta sa descente vers l’inconnu. La crainte des pilotes était évidemment de tomber dans un lac, où de se blesser en s’écrasant contre des arbres. Nous pouvons imaginer qu’en pleine forêt, ces situations ont de bonnes chances d’arriver.

Avec leurs talents à contrôler ce qui pouvait l’être et une bonne étoile qui veillait sur eux, le pire fut heureusement évité.

Ils firent leur atterrissage forcé par la tempête au centre d’une petite clairière naturelle, tout au bord d’un lac et d’une rivière.

Arrivée brusque, oui, mais sans blessures.

Le premier choc passé, ils sortirent de leur habitacle. Tout autour, que la forêt.

Où étaient-ils?

Nos braves aéronautes ne le savent pas encore à ce moment, mais ils sont chez nous, le long de la rivière Péribonca, au lac Banc-de-sable, secteur de Lamarche.

 

C’est en pleine forêt, juste au nord de Lamarche, que l’aventure dans le ciel se termine, mais qu’une autre débute.
Source: Google Map

Loin, mais non perdus

Munis de cartes et de boussole, les deux hommes parviennent à identifier le secteur où ils sont tombés. Ils jugent la situation préoccupante, mais non dramatique.

Ils décident de remettre toute la question du  on va se sortir d’ici comment? au lendemain. En attendant, il faut préparer la nuit qui s’en vient. Tout naturellement, ils utilisent leur nacelle comme abris de fortune, et passent une première nuit à la belle étoile dans nos terres.

Le lendemain 20 octobre, ils abandonnent leur ballon et emportent avec eux ce qu’ils peuvent, dont leur petit canot. Direction : la civilisation.

 

Partout, on annonce l’événement.
Source: journal La Vigie, 27 octobre 1910

Les jours suivants

Les 20, 21, et 22 octobre, ils marchent vers le Saguenay, sans rencontrer âme qui vive. Sur leur chemin, ils trouvent un camp isolé. Malheureusement, personne n’y est. Ils profitent toutefois de ce bâtiment solide pour manger et refaire leurs forces, l’espace de quelques heures.

Je ne sais pas si vous avez lu les deux chroniques des dernières semaines où j’abordais les situations dramatiques qui pouvaient se produire à cette époque dans notre forêt, mais si oui, vous comprenez que tout n’était pas nécessairement facile pour ces pilotes.

Au jour 3 de cette marche, les hommes décident de rationner leur ravitaillement. Les jours passent, et il n’y a encore que des arbres.

Une rencontre plus que salutaire

Le 23 octobre, le vent tourna enfin pour eux, c’est le cas de le dire. En pleine forêt, ils rencontrent deux chasseurs, Joseph Pednault de Saint-Ambroise, et Joseph Simard, d’Alma.

Sous la conduite de ces deux guides providentiels, Alan R. Hawley et Augustus Post sont conduits à Rivière-à-l’Ours. De là, après ravitaillement, ils se rendent enfin à Chicoutimi.

Les deux aventuriers descendent à l’Hôtel Château du Saguenay. Alertés, tous les médias rapportent la nouvelle.

 

Les superlatifs ne manquent pas pour décrire l’exploit : « …plus grand événement sportif des temps modernes », ce n’est pas rien.
Source: journal La Vigie, 27 octobre 1910

Rassurer les familles et les organisateurs de la course

Immédiatement, on envoie des télégrammes à partir de l’hôtel pour rassurer tout le monde. Au Château Saguenay, une foule de gens se présentent pour voir et discuter avec les aéronautes. Ceux-ci, malgré une fatigue bien compréhensible, se prêtent volontiers au jeu, et mentionnent même qu’ils sont prêts à recommencer !

Tout ce temps avait été fort angoissant pour les organisateurs de la compétition. Sans nouvelle des deux hommes, une récompense de 5000 $ de l’époque avait même été promise pour quiconque les retrouverait.

 

Nos deux héros de la semaine, Alan R. Hawley et Augustus Post, qui passèrent à la postérité de l’histoire de la conquête du ciel.
Source: Earlyaviators.com

Ainsi, en plus d’une excellente histoire à raconter, nos deux chasseurs verraient leur compte en banque se bonifier.

Sans perdre de temps, on ramena Hawley et Post à Saint-Louis par train. Une grande fête y fut organisée, non seulement parce qu’ils avaient été retrouvés, mais parce qu’effectivement, ils avaient gagné la course  James Gordon Bennett édition 1910!

 

Le classement officiel de la course pendant cette période.
Source: Wikipédia

Et le ballon?

Le Château Saguenay n’allait pas passer à côté de toute cette publicité gratuite. M. J. D. Guay, du Château, organisa une espèce de course au trésor pour retrouver l’appareil. La récompense : 250 $. C’est M. Georges Savard qui le trouva, tout dégonflé et attendant qu’on vienne le chercher.

Il fut bien emballé et expédié à ses propriétaires.

Les records sont faits pour être battus

Le record de distance établi par Hawley et Post ne tint pas longtemps. Deux ans plus tard, il fut battu de seulement 200 kilomètres par des Français.

Toutefois, afin de bien mesurer l’exploit de cette aventure qui se termina chez nous, il est bon de signaler que par la suite, le record de 1912 ne fut battu une nouvelle fois qu’en 2005, il n’y a même pas quinze ans.

 

C’est bien malgré elle que la carte de la région se retrouva en pleine première page du journal The Boston Post.

Non, ce n’est pas terminé

L’exploit réalisé en 1910 ne sombra pas dans l’oubli. Vingt ans plus tard, en 1930, on a une merveilleuse idée. Afin de souligner cet anniversaire, on parvient à convaincre les deux aéronautes de revenir ici.

Mais ça ne s’arrête pas là. Après des recherches, l’on retrouve les deux chasseurs Pednault et Simard pour organiser non pas une petite rencontre amicale entre les quatre hommes, mais bien une reconstitution de l’aventure. Juste ça.

Pour l’occasion, une plaque commémorant le fait d’armes est créée. La mission de l’équipage : se rendre au lieu de l’échouage de la même manière qu’en 1910, et d’y installer la plaque. De leur côté, les aéronautes promirent que pour l’occasion ils allaient être habillés de la même façon qu’à l’époque de l’exploit.

 

Vingt ans plus tard, en 1930, les deux aéronautes reviennent dans la région pour installer une plaque commémorative à l’endroit de l’atterrissage forcé par une tempête.
Source: journal Progrès du Saguenay, septembre 1930

Dans sa réponse, l’un des guides écrivit aux organisateurs du périple qu’il y serait, et que même s’il avait perdu une main dans un accident de travail depuis, il savait encore pagayer!

Chose qui fut faite à l’été 1930, mais cette fois dans la bonne humeur et les sourires amicaux.

Une belle aventure qui se termine bien

L’expression  Tout est bien qui fini bien ne pourrait mieux s’appliquer ici. Cela aurait pu prendre une tournure autrement plus dramatique, mais ce n’est pas le cas, alors profitons-en.

C’est bien involontairement que la région a posé sa petite pierre blanche sur le long chemin qui a mené à la conquête du ciel, et plus tard de l’espace. Si cela n’a rien changé dans les faits, à tout prendre, j’ai beaucoup mieux aimé vous présenter ce récit cette semaine, plutôt qu’une version où des cercueils y auraient été impliqués.

Pour ce qui est de l’histoire de l’aviation avec de vrais avions, ce sera pour une prochaine fois!

Page Facebook Saguenay et Lac-Saint-Jean histoire et découvertes historiques :
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Christian Tremblay, chroniqueur historique

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