Bienvenue à un repas de 1882 !

Bienvenue à un repas de 1882 !

<![CDATA[Nous sommes actuellement au plus fort de l’hiver. Depuis déjà quelques semaines, c’est la saison de « la grosse cuisine ». Exit la petite salade de juillet, et vive le rôti de porc, patates jaunes, soupe nourrissante et autres. C’est avec un œil pour l’assiette et l’autre pour le pèse-personne que nous naviguons jusqu’au retour de la belle saison. Aujourd’hui, nous avons la chance d’avoir accès à une multitude d’aliments disponibles tout au long de l’année. Vous vous en doutez, il en était tout autrement pour nos ancêtres.
Vous vous êtes déjà demandé : ils mangeaient quoi, au juste?
Si nous avons bien une petite idée dans les grandes lignes, comment se préparaient exactement les mets?
Attention! Je ne veux pas parler ici de l’époque de nos parents, mais plus loin, beaucoup plus loin que ça.
Cette semaine, je vous propose de nous déguiser en chef cuisinier et d’explorer la cuisine de nos premiers arrivants dans la région, soit dans les années 1860 et 1870!
Le tout sera fait sur une note légère, car autant aviser les personnes qui prennent du poids facilement, vous prendrez cinq kilos seulement à lire la chronique.
Mais en premier lieu, le pourquoi de la chose…

Par ici les calories!

Ce n’est un secret pour personne, nos aïeux dépensaient beaucoup plus d’énergie que nous. La majorité des emplois étaient exigeants physiquement, et entre vous et moi, il y a une bonne différence entre simplement ajuster le thermomètre de la maison à 21 degrés pour l’hiver, ou devoir fendre du bois à la hache pendant des jours.
Tout, je dis bien absolument tout, demandait un effort physique qui n’a aucune commune mesure avec ce qui se passe de nos jours.

Le travail physique au quotidien demandait d’engloutir une quantité astronomique de calories !
Source : revue Country Gentlemen, 1945

Pour l’humain moyen, il fallait engloutir à chaque jour un magnifique total de 4 000 ou 5 000 calories seulement pour soutenir le rythme de cette vie. Considérant que la moyenne d’aujourd’hui tourne autour de 2 200 pour les hommes et un peu moins pour les femmes, c’est littéralement deux fois plus de nourriture à manger, et ce, à chaque journée. Sans un rythme de vie adapté à ça, je ne le vous conseille vraiment pas.
Pas surprenant alors que la nourriture était riche… très riche. On aura beau dire, oui manger santé c’est bien, mais pour amasser 5 000 calories avec des pommes et des carottes uniquement, bonne chance…
Le gras était à l’honneur, puisque très riche et économique
Source : revue Country Gentlemen, 1912

On mange tout, tout, tout

Ce n’était pas tant par goût que par nécessité que rien ne se perdait. Peu importe l’animal, on le mangeait du museau à la queue… queue incluse. Inutile de revenir sur la pauvreté des Jeannois de l’époque qui a souvent été racontée ici. Alors, pas question de perdre le moindre bout qui pourrait servir à quelque chose.
Quand une mère devait mettre 20 000 ou 30 000 calories sur la table à chaque jour, elle siphonnait tout ce qui pouvait être siphonné!

Couverture d’un livre de recettes de 1945. Image très idéalisée de la réalité dans notre région.
Source : Wikipédia

On débute?

Afin de mettre la table (c’est le cas de le dire) et de planter le décor, vous mentionner que c’est moi qui invite, et que nous sommes dans les années 1870-1880. Il est possible que vous ne reconnaissiez pas tous les mots, mais comme nous sommes là pour nous amuser, ce n’est pas vraiment grave.
Comme, pour l’occasion, nous devons faire les choses correctement, vous aurez droit à un repas table d’hôte de 1882, avec, en prime, quelques conseils à la fin. Ne manquez pas la petite recommandation concernant la carpe, c’est vraiment ma préférée.
Voici le menu que je vous propose. Les recettes sont tirées de deux livres d’époque, soit Recettes et le médecin à la maison , édité en 1882 et Directions diverses , par la révérende Mère Caron, édité en 1878.

Ce livre pratique de 1882 renfermait plusieurs recettes et conseils pratiques pour nos colons.
Source : BAnQ

Entrées et soupe
Andouillettes
Fromage de cochon
Soupe à la queue de bœuf
Repas principal
Boudin
Tête de bœuf
Plum-pudding
Desserts
Biscuits
Crème au café
Un autre ouvrage de référence destiné à l’enseignement auprès des jeunes femmes.
Source : BAnQ

Et quelques conseils
Perdreaux, perdrix
Bouillons
La conservation du beurre
Carpes

Les recettes

Andouillettes (pour les plus jeunes, consultez vos parents!)

Après avoir vidé et nettoyé les boyaux les plus gros et les plus gras du cochon, faites-les dégorger à l’eau fraîche pendant 24 heures. Égouttez et essuyez-les, puis choisissez les boyaux en meilleur était pour fourrer les andouilles, coupez les autres en filets de 15 pouces, ajoutez du lard maigre coupé aussi en filets, de la panne hachée et petits morceaux, sel, poivre, persil, échalote; laissez mariner le tout pendant six heures et mettez-le dans un boyau que vous lierez ensuite par deux bouts. Faites cuire pendant cinq heures à très petit feu dans une marmite avec du lait et de l’eau assaisonnée de sel, thym, laurier, basilic. Il faut les laisser refroidir dans leur cuisson; on les fait ensuite griller pour les servir en hors-d’œuvre.

Source : BAnQ

Fromage de cochon

Prenez une tête de cochon bien désossée, levez toute la chair et le lard que vous coupez en filets minces. Faites de même pour les oreilles. Assaisonnez le tout avec sel fin, poivre, thym, laurier, basilic, clous de girofle et muscade râpée, deux gousses d’ail, quatre échalotes hachées et une demie-poignée de feuilles de persils entières. Mettez la peau de la hure dans une casserole ronde; arrangez-y tous vos filets de viande en en mélangeant bien le gras et le maigre, et en semant votre persil. Cousez ensuite la couenne pour bien la fermer; enveloppez le tout d’un torchon que vous serrerez fortement avec de la ficelle, en sorte que le tout soit bien comprimé. Mettez votre fromage dans une marmite de la même grandeur, pour le faire cuire durant six heures, avec une pinte de vin blanc, bouillon, oignons, racines, thym, laurier, basilic, une gousse d’ail, sel, poivre et épices. Lorsqu’il sera cuit, vous le laissez refroidir.

Tout était plus grand que nature afin de nourrir les familles nombreuses. Pour la mère au foyer, ce n’est pas les occupations qui manquaient !
Source : inconnue

Soupe à la queue de bœuf

Coupez la queue par morceaux, faites-la revenir dans le chaudron avec des épices à votre goût, un demiard d’eau, trois oignons, carottes, quelques têtes de poivre ronds. Brassez jusqu’à ce que le tout devienne un peu brun; ajoutez un quarteron de farine blanche, brassez encore, puis ajoutez trois pintes d’eau et plus au besoin.

Boudin

Faites cuire de l’oignon avec un peu d’eau et de la panne. Quand il est bien cuit et réduit en purée, mettez-le dans trois pintes de sang, dont deux de cochons et un de veau; ajoutez-y le quart de crème et de la panne que vous couperez en dés. Assaisonnez de sel, d’épices mêlées. Maniez le tout ensemble, afin de bien en opérer le mélange, et l’entonnez dans des boyaux bien propres et non troués. Il ne faut pas trop les remplir, afin qu’ils ne crèvent pas en cuisant; ficelez les deux bouts du boyau, mettez vos boudins dans un chaudron où il y a de l’eau bouillante, mais ils ne doivent pas bouillir. Avant de les mettre dans l’eau, piquez-les légèrement avec une épingle. Laissez-les cuire pendant un quart d’heure, et assurez-vous qu’ils sont cuits en les piquant de nouveau, et en les pressant légèrement; si le sang n’en sort plus la cuisson est faite.
Lorsqu’ils seront froids et que vous voudrez les servir, faites-les griller sur un feu qui ne soit pas trop vif, après les avoir piqués avec une fourchette, servez chaud avec de la moutarde.

Tête de bœuf

Prenez une tête de bœuf, enlevez la cervelle et les yeux, couvrez-la d’eau et laissez bouillir doucement, avec poivre et sel, jusqu’à ce qu’il n’y ait presque plus de jus. Ôtez les os et remettez au feu. Ensuite, déposez dans des moules, couvrez et mettez un poids dessus.

Une belle présentation de plats de service en étain de 1880.
Source : inconnue

Plum-pudding

Prenez un quart de livre de graisse, ou mieux de moelle de bœuf, une demie-livre de farine, et pareille quantité de beau raisin, dont il faut ôter les pépins. Ajoutez-y un quart de livre de raisin de Corinthe bien épluché, le zeste de la moitié d’un citron haché fin, et quelques fragments d’angélique. Mettez le tout dans un grand vase, où vous ajouterez quatre œufs, blancs et jaunes, une petite cuillerée à bouche d’eau de fleur d’oranger, et une demie-chopine de crème et un petit verre d’eau de vie; délayez bien le tout, ajoutez-y encore un verre de lait, et assez de mie de pain mollet, que vous émietterez dedans, pour donner une bonne consistance à votre plum-pudding. Enveloppez-le bien serré dans un linge ou une serviette, et faites-le bouillir pendant quatre heures sans discontinuer, dans un chaudron d’eau, ayant soin de le retourner plusieurs fois sens dessus dessous. Développez-le et servez. On le mange chaud ou froid. On le coupe par tranches, que l’on range dans un plat d’argent, et que l’on arrose de rhum auquel on met le feu.

Biscuits

Prenez 1/2 livre de sucre superfin que vous réduisez en poudre et que vous mettez dans une terrine avec huit jaunes d’œufs, joignez-y 1/2 livre de fécule et une once de farine; mêlez bien. Mettez à part les blancs dans une autre terrine, et fouettez-les pendant une demi-heure avec un balai de brins d’osier. Lorsque votre neige de blancs sera parfaite, versez-la dans la terrine, mélangez le tout avec la spatule ou une fourchette, assez légèrement toutefois pour ne pas faire retomber la neige. Remplissez avec ce mélange vos moules après avoir eu soin de les beurrer légèrement. Ne les remplissez qu’à moitié, car la matière gonfle beaucoup en cuisant. Ne beurrez pas, si vos biscuits doivent être servis dans les caisses de papier dans lesquelles ils se font. Saupoudrez-les de sucre en poudre fine, et mettez-les au four jusqu’à ce qu’ils aient pris une belle couleur jaune foncée.

Le poêle à bois traditionnel.
Source : BanQ

Crème au café

Faites un café très fort, avec une once et demie de café, et une quantité suffisante d’eau; faites votre café au filtre sans ébullition, afin de lui conserver son arôme. Si vous avez l’un de ces nouveaux appareils composés de deux globes de verre, servez-vous-en et faites passer deux ou trois fois l’eau sur le café; Vous finirez ainsi par avoir une sorte d’extrait de café; mêlez-le avec une pinte de lait; ajoutez un huitième de sucre blanc en poudre, six jaunes d’œufs et trois blancs bien battus, délayés avec quelques cuillerées de crème. Dressez votre crème dans le plat où vous devez le servir, et mettez ce plat, bien couvert, sur une casserole d’eau bouillante, jusqu’à ce que votre crème soit prise. Glacez avec du sucre et une pelle rouge. Servez froid.

Quelques conseils

Perdreaux, perdrix (non pour les vieilles perdrix)

Les vieilles perdrix ne peuvent guère être mangées qu’en ragoût; pour rôtir il faut des perdreaux; on les reconnaît en ce qu’ils ont la première plume de l’aile pointue, le bec noir et les pattes plus noires que celles de leur mère.

La chasse à la perdrix. Animal sauvage qui a été grandement consommé par les premières familles ici.
Source : BanQ

Bouillons (mais oui pour les vieilles poules)

La viande bœuf est celle qui donne le meilleur bouillon; ensuite, celle du mouton, pourvu qu’elle ne soit pas trop grasse. Le veau ne s’emploie que pour le bouillon de malade.
Les volailles ajoutent peu de sapidité au bouillon. Si on met une poule au pot, elle doit être vieille; car elle a plus de goût.

La conservation du beurre

Le beurre récent doit être conservé dans un lieu très frais ou tenu dans un vase placé dans de l’eau fraîche qu’on renouvelle plusieurs fois par jour, ou enveloppé dans un linge, qu’on tient toujours humide.

Carpes (avouez que celle-là, vous ne l’avez pas vu venir)

Les carpes pêchées dans les étangs ont ordinairement un goût de bourbe fort désagréable. On détruit ce mauvais goût en faisant avaler à la carpe vivante du fort vinaigre. Il s’établit alors sur tout son corps une sorte de transpiration que l’on enlève en l’écaillant. Sa chair se raffermit et perd le goût de marécage.

Quelques petites surprises, tout de même

Outre l’utilisation intensive des parties moins nobles des animaux, la lecture de ces quelques recettes de cette période nous réserve une petite surprise qui a peut-être échappé à votre œil. Je veux parler ici de l’utilisation de plusieurs épices ou herbes que nous aurions pu croire inaccessibles en 1870. Comme par exemple le persil, échalote, thym, laurier, basilic, clous de girofle, muscade râpée, laurier.
Bien que la chronique historique de cette semaine ne s’est pas prise au sérieux, n’en demeure pas moins que cet aspect de notre histoire révèle le quotidien de ceux qui nous ont précédés, leurs coutumes, façons de faire les choses, et utilisation de tout ce qui était possible pour nourrir leur monde.

Parlons carpes

La vedette de cette semaine est sans contredit la pauvre carpe obligée de boire du vinaigre juste avant de passer à la casserole. Ce truc d’une autre époque fonctionne peut-être, mais ce n’est pas moi qui vais l’essayer!
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Christian Tremblay, chroniqueur historique]]>

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